Sylvie Gradeler – Serge Jardin

Éditions GOPE, 266 pages, 14.5x20.5 cm, 80 illustrations noir et blanc, 21 €, ISBN 979-10-91328-20-3

lundi 16 février 2015

Malaisie, un certain regard : entretien avec Sylvie Gradeler et Serge Jardin

Lettres de Malaisie, dans Édition, Entretiens, février 2013


Sylvie Gradeler et Serge Jardin, vous publiez en ce début d’année <2013> l’ouvrage Malaisie, un certain regard, un volume invitant le voyageur à découvrir la Malaisie sous des angles d’approche originaux : à travers l’artisanat, l’architecture, les beaux-arts et les littératures. Comment vous est venue l’idée de l’ouvrage ?

Sylvie Gradeler : D’un manque. Arrivée fraîchement en Malaisie, sans savoir vraiment à quoi pouvait ressembler ce pays, j’ai tout de suite été étonnée par la diversité des cultures que je pouvais constater au travers de la population, de l’architecture, de la cuisine… Je ne comprenais pas comment cela fonctionnait ni quelles étaient les raisons de cette situation. Trouver des réponses à mes questions quotidiennes était peu aisé et je ne savais pas où les chercher, les guides touristiques ne m’offrant que des réponses superficielles ou incomplètes. J’ai eu la chance d’intégrer, dès mon arrivée, un groupe de guides volontaires au Musée national de Kuala Lumpur (Museum Volunteers Malaysia/ http://museumvolunteersmalaysia.org/) et à ce titre, de recevoir une formation assurée par différents intervenants locaux (historiens, écrivains, artisans…), sur la culture du pays et celle-ci fut complétée par trois ans de rencontres, de découvertes, de voyages…

En quittant la Malaisie, je trouvais vraiment dommage « d’abandonner » ce que j’avais pu y apprendre, je désirais le partager et ainsi donner l’opportunité à des nouveaux venus dans le pays de trouver rapidement les réponses aux questions qu’ils allaient à leur tour se poser ! Bref, c’était le livre que j’aurais aimé trouver à mon arrivée : un ouvrage qui permet d’aborder le pays sous un autre angle, celui de ses habitants et de leurs cultures.

Cette démarche me semblait toutefois incomplète. Je souhaitais élargir le regard à d’autres aspects. C’est là où la participation de Serge à cette aventure s’est imposée, grâce à sa longue résidence en Malaisie et à ses connaissances, littéraires notamment, il apportait un éclairage original et nécessaire à ce projet. Et j’ai eu la chance et le plaisir qu’il partage ce souhait et accepte donc !


Vous avez retenu plusieurs facettes souvent survolées par les guides de voyage classiques. Comment justifieriez-vous votre sélection ? Face à la modernisation accélérée de la société malaisienne, sont-elles encore toutes d’actualité aujourd’hui ?

Sylvie Gradeler : Ce livre ne se veut pas une somme universitaire et exhaustive, mais plutôt un « carnet de voyage » d’un nouveau genre. Il ne s’agit pas d’un simple journal où seraient traduites quotidiennement et directement des expériences de voyage, mais plutôt d’un recueil où sont regroupés des coups de cœur et des découvertes, parfois surprenantes, nés de la lecture d’ouvrages ou d’histoires racontées autour d’un objet. C’est ainsi un point de départ que chaque lecteur peut compléter à partir de son propre vécu dans le pays.

En même temps, et c’est ce qui a guidé le choix du plan, il s’agissait d’évoquer les diverses communautés malaisiennes vues sous différents angles : architectures, croyances, beaux-arts, traditions populaires…

Si l’on observe effectivement une « modernisation accélérée de la société malaisienne », pour reprendre vos termes, ce livre est d’autant plus opportun qu’il se trouve à la croisée des chemins entre un passé et des traditions encore très présentes, dans chacune des communautés, et, un futur où la Malaisie s’invente un nouveau visage. Par exemple, si on constate parfois la perte de savoir-faire artisanaux, on découvre la volonté de moderniser certaines techniques comme celles du batik. De même en matière d’architecture, où innovation peut rimer avec tradition.

Serge Jardin : La sélection repose avant tout sur le plaisir : des objets chez l’une, des mots chez l’autre. Puis, peu à peu, cela a pris la forme d’une quête, de l’âme malaise d’abord, des autres Malaisie ensuite, du Malaisien enfin. Une quête en devenir bien sûr. Le livre sur les lieux de mémoire (et de contre-mémoire) reste à écrire en Malaisie. L’intérêt est double, c’est d’une part découvrir et apprécier des arts et traditions populaires menacés par une société en mutation rapide (kriss, pantoun, pua kumbu…), c’est d’autre part se doter d’éléments nécessaires à la compréhension de la Malaisie d’aujourd’hui. Comment comprendre l’Islam malaisien sans connaître les influences du wayang kulit ou bien sans lire L’Épopée de Hang Tuah ?


Vous abordez la Malaisie sous l’angle de ses littératures, louant notamment la simplicité et la vitalité de la littérature malaise. Quelles sont, pour chacun de vous, vos lectures préférées au sujet de la Malaisie ? Quels auteurs du cru appréciez-vous, et si ce n’est déjà fait, lesquels verriez-vous bien être traduits en français ?

Sylvie Gradeler : J’ai commencé par lire les écrivains français : l’incontournable Henri Fauconnier ou bien encore Pierre Boulle. Cela m’amusait de voir le regard que l’on pouvait porter alors sur la société malaisienne et le pays lui-même. Ce type de littérature constitue à chaque fois une source d’étonnement tant les stéréotypes étaient forts : la jungle est toujours « impénétrable et humide » et les femmes sont « douces et mystérieuses » !

Quant à la littérature malaisienne, la période de la seconde guerre mondiale et celle qui précède l’indépendance de la Malaisie m’intéressent. À ce titre, deux ouvrages me reviennent en mémoire : Le Tristement Célèbre Johnny Lim de Tash Aw et La Jungle de l’Espoir de Keris Mas.

Serge Jardin : En français, parmi mes dernières lectures sur la Malaisie, je recommande, sans ordre de préférence, un ouvrage de sciences politiques d’Isabelle Beaulieu, L’État rentier, paru en 2008, les derniers livres de Georges Voisset, son récit de voyage Malaisie, le pays d’entre-monde en 2010 et ses Contes sauvages en 2012, ou la redécouverte des aventures de Pelandok le chevrotain. Et puis je viens de me régaler avec Paco Ignacio Taibo II : Le retour des Tigres de Malaisie paru en 2012, et le plaisir de retrouver Sandokan, l’intrépide pirate malais et son inséparable ami Yanez, le Portugais…

J’aime beaucoup les poètes malais : Latiff Mohidin, Usman Awang, le patriote et l’iconoclaste Salleh ben Joned, ou bien encore Les chuchotements d’A. Samad Said… dont pratiquement rien n’a été traduit en français. À traduire en français également, j’ajouterai les romans de Tan Twan Eng, ou bien encore The Malayan Trilogy d’Anthony Burgess, et le Hikayat Hang Tuah (L’Épopée de Hang Tuah) qui figure au programme « Mémoire du monde » de l’UNESCO mais qu’on ne peut toujours pas lire dans la langue de Molière…


Malaisie, un certain regard est richement illustré de dessins et croquis d’Axelle Bonnard, qui permettent de visualiser cette Malaisie des arts et de l’artisanat à travers le regard même d’une artiste. Étiez-vous justement à la recherche d’un tel effet ? […]

Sylvie Gradeler : Une iconographie paraissait indispensable : d’abord pour donner corps à des objets ou lieux décrits mais méconnus que le lecteur pouvait avoir du mal à imaginer, et par ailleurs, pour agrémenter le parcours écrit sans toutefois l’envahir par une trop forte présence. Ainsi, le choix d’une illustration avec des photos, qui aurait alors rapproché le livre d’un guide ou d’un livre d’images, fut assez vite écarté. Je connais Axelle (qui vit en France) et son goût pour le dessin au crayon. Son travail semblait tout à fait cohérent avec l’esprit du livre. Le recours à une jeune artiste permet d’une part d’insérer une touche artistique dans cet ouvrage où l’on parle de culture et d’art. D’autre part, le travail au crayon reste léger, poétique et a un fort pouvoir évocateur laissant encore la place à l’imaginaire du lecteur.
[…]


En avant-propos, vous n’oubliez pas de rappeler la confusion fréquente opérée en France entre les mots « malais » et « malaisien ». À ce titre, vous vous attachez à décrire en premier lieu la Malaisie malaise, mais aussi les autres Malaisie (Chinois, Indiens, métis, aborigènes, peuples de Bornéo…). Devant tant de diversité, pensez-vous que la France actuelle puisse s’inspirer de l’expérience malaisienne ?

Sylvie Gradeler : La diversité culturelle de la Malaisie découle d’une longue histoire propre à cette partie du monde. Il est très difficile alors, face à ce constat, de mettre en parallèle la situation de la Malaisie et celle de la France. À chacun son histoire. Les enjeux, la géographie, les cultures déterminent des solutions différentes aux questions que peut se poser un pays. La tentation de la comparaison est toujours la « mauvaise habitude » du voyageur et la Malaisie est un pays complexe de par sa diversité même et il faut prendre son temps pour le comprendre et ne pas s’arrêter aux premières images. « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà »… Mais au-delà, une expérience malaisienne est extrêmement enrichissante, elle change notre regard et permet de réfléchir à nos propres valeurs.

Serge Jardin : La Malaisie est faite d’« éclatement », de « religion », d’« ethnicité »… La France a construit son modèle culturel aux antipodes de celui de la Malaisie, autour de thèmes comme « centralité », « laïcité », « unicité »… Difficile de changer l’histoire. On peut toutefois inviter les Français à regarder ailleurs. Face à des problèmes souvent identiques, on trouve aux quatre coins du monde des solutions fort différentes. Pour plagier quelques vieilles barbes, j’ai envie de dire aux Français : vous n’avez rien à y perdre, que vos œillères, au-delà de l’hexagone, il y a un monde à découvrir…


Quels sont vos parcours respectifs en Malaisie et vos attaches actuelles avec ce pays ?

Sylvie Gradeler : Trois ans en Malaisie, trois années fantastiques ! Arrivée en 2006, j’ai tenté de mieux comprendre ce pays grâce au Museum Volunteers Malaysia qui m’a permis de rencontrer rapidement des Malaisiens et aussi grâce à des Occidentaux vivant là depuis fort longtemps pour certains et amoureux de ce pays.

Trois années peuvent paraître toutefois insuffisantes, et c’est la raison pour laquelle, j’y retourne tous les ans depuis mon retour en France. J’ai la chance d’y avoir des contacts familiaux et amicaux solides et précieux !

Serge Jardin : Prosaïquement, le tourisme, cinq ans autour du monde et depuis vingt-sept ans la Malaisie, d’abord comme accompagnateur, puis guide, et voyagiste, aujourd’hui comme hôte et conteur… Marié depuis vingt-sept ans avec bonheur à une Malaquaise, j’habite aujourd’hui à Malacca.
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